✎ CHAPTER TWO.

→ « Putain, elle nous fait chier avant d'être née. » Vous l'aurez compris, ma mère était du genre très aimable. Elle avait fait plusieurs fois honte à mon père. Les gens qui nous entouraient avaient bien du mal à comprendre comment un homme aussi élégant, raffiné et soigneux pouvait fréquenter une femme pareille. Mais il fallait être réaliste : mes parents n'avaient fait un enfant que dans l'unique but de consolider leur couple. Ni l'un ni l'autre n'avait encore des sentiments. Ils étaient devenus bien trop différents. Papa s'était relativement bien intégré à ce monde huppé et friqué mais Maman ne trouverait jamais sa place ici. « Tu n'as pas honte de parler d'elle ainsi ? Il s'agit de ta fille tout de même. » « Tu parles, je n'ai fait un enfant que pour te garder sinon tu sais parfaitement que je n'en voulais pas, moi. » Et les voilà partis dans une énième dispute. A croire qu'ils n'étaient bons que pour cela tous les deux. Après cinq heures de travail en salle d'accouchement, je vis enfin le jour. « Que penserais-tu du prénom Benita, Liz ? » Elle soupira bruyamment. « Donne-lui le prénom que tu veux, cela m'est strictement égal. » Mon père ne manqua pas de soupirer avant de me prendre dans ses bras. Du haut de mes quelques minutes, j'étais incapable de comprendre ce que l'un ou l'autre disait et il faut croire que c'était préférable. Ma mère resta quelques temps à la maternité car il était bien trop affaibli par l'accouchement. C'est alors seule avec Papa que je gagnais pour la première fois la demeure familiale. Nous avions une villa au bord de la mer aux Hamptons ainsi qu'un manoir en Écosse mais c'était à Cambridge que nous logions le plus souvent.

Alors qu'il était un brillant homme d'affaires dans l'immobilier, mon père lâcha son boulot du jour au lendemain. Je souviens que j'avais six ans et qu'il est rentré avec un large sourire sur son visage. C'était tellement rare, j'en étais ravie. A peine eut-il franchi la porte que je lui sautais dans les bras. Un câlin plus tard, il me reposa au sol après avoir déposé un baiser sur mon front. Il monta dans son bureau, enfin je crois que c'était ça. Puis, je ne tardai pas à entendre des personnes se disputer. Je n'eus aucun mal à comprendre qu'il s'agissait de mes parents qui se livraient à une énième dispute. Faisant mon mieux pour être discrète, je gravis les marches de l'escalier. Je voulais comprendre ce qu'il se passait cette fois. Je me plaçai à côté de la porte de leur chambre en prenant soin de me cacher. « C'est la meilleure celle-là ! Abandonner ton travail du jour au lendemain pour te lancer dans une tournée avec un groupe de jazz. Tu as perdu la raison Declan Ludwig Oswald Dhrey ! » Mon père se lança dans un grand éclat de rire. Il s'interrompit net puis la fixa froidement. « Ce sera l'occasion pour moi de faire enfin quelque chose dont j'ai envie. Ce boulot, je ne le gardais que pour t'entretenir. Avoue ! La seule chose qui te chagrine, c'est que tu ne pourras plus vivre aussi aisément. Tu n'as toujours pensé qu'à toi, Lisbeth. Et bien pour une fois, j'ai décidé de faire pareil que toi. » « Ah ! J'espère que tu emmènes la gamine avec toi au moins. » Mon père prit une valise au dessus de la penderie, la balança sur le lit et commença à entasser ses vêtements dedans. « Tu sais que si j'avais pu, je l'aurais emmenée avec moi. Simplement pour la préserver de toi. Je sais que tu t'arrangeras pour lui pourrir la vie comme tu as pourri la mienne. Cependant, une tournée n'est pas un environnement sain pour une enfant. Pour ton information, elle est autant ta fille que la mienne. Tu en es toi aussi responsable ! » Ma mère protesta. Elle tenta de le convaincre, avançant plusieurs arguments. Quitte à se débarrasser de l'un de nous, elle aurait voulu que les deux foutent le camp en même temps. Elle a toujours été comme cela : égoïste, sournoise, garce, prétentieuse, arrogante. Il ne faut pas s'étonner qu'elle n'ait jamais eu d'amis. Lorsque j'entendis que les choses redevenaient calmes, je redescendis au rez-de-chaussée, m'asseyant sur le canapé comme si de rien n'était. Je ne tardais pas à entendre la porte d'entrée s'ouvrir. Je mis peu de temps à regagner le hall d'entrée. « Papa, ne t'en vas pas. Pas sans moi ! » Mes larmes noyaient mes joues mais je savais que cela ne suffirait pas à le convaincre. Ce fut la dernière fois que je le vis. Il n'était jamais revenu me chercher alors que ma mère nous menait la vie dure, balançant l'argent par les fenêtres alors que c'était devenu impossible. Quatre années plus tard, il perdit la vie et j'eus le sentiment de me retrouver seule au monde.

Puis, à dix-sept ans, un an plus tôt que prévu, j'ai intégré une université privée de médecine. Comment en ai-je eu les moyens ? Papa m'avait légué toute sa fortune, ne laissant pas un sou à ma mère. Elle n'avait plus droit à rien puisqu'ils avaient divorcé sans même que je ne le sache. Alors que je fouillais dans des cartons dans la cave pour récupérer quelques affaires de mon père, je tombai sur un carton qui attirait mon attention. Dedans était classé plus d'une centaine de cartes postales. Paris, New York, Amsterdam, Hong-Kong... Mais d'où ça venait tout cela ? Ma curiosité m'incita à en lire une, puis deux, puis trois pour finir par toutes les lire. Elle venait toutes de Papa. Il m'en avait envoyé une de chacune des villes où il était allé. Ma mère avait osé me cacher cela pendant toutes ses années. A cet instant, je lui en voulais plus que jamais. Déjà qu'elle avait préféré me laisser à des nourrices plutôt que de s'occuper de moi, elle avait tout fait pour garder éloignée de mon père. Il y avait même des billets d'avion glissés avec certaines cartes. Il avait tout mis en œuvre pour que je puisse aller le voir et elle m'avait toujours gardée à l'écart. Depuis le début de mes études, je n'ai répondu à aucun de ses appels et à aucun de ses courriers. Elle m'avait suffisamment fait de mal comme cela. Aujourd'hui, je suis radiologue dans un cabinet privé et je suis heureuse de ne rien lui devoir. Dire que je dois mon second prénom à elle, Elizabeth. Pour moi, elle est morte et c'est très bien comme cela ! « Elizabeth, je m'appelle Elizabeth. » « Pourtant, c'est marqué Benita sur ta carte d'identité ! » « Benita n'existe plus désormais. »

✎ CHAPTER THREE.

→ Pourquoi habitez-vous dans cette ville ?
J'ai déménagé ici il y a peu puisque je suis née et j'ai grandi à Cambridge. Certes, j'ai fait mes études de médecine à la Johns-Hopkins University. A ma sortie de l'université, je suis parvenue à obtenir un stage de quelques mois dans un cabinet privé de la ville. J'ai donc déménagé ici. Mon maître de stage partant à la retraite, il a proposé ma candidature afin de le remplacer. J'ai finalement été choisie et me voilà aujourd'hui.

→ Comment occupez-vous vos journées ici-même, quelle est votre activité ?
Après douze années de dur labeur, je suis finalement sortie diplômée de l'université. Ainsi, aujourd'hui, je suis radiologue alors qu'on me prédestinait avocate ou encore vendeuse de tapis. Je crois qu'on était prêt à me coller toutes les étiquettes sauf celle de médecin. Bah radiologue, c'est un médecin comme un autre puisqu'on suit le même cursus après tout. C'est simplement la spécialité qui change tout.

→ Cette ville vous satisfait-elle ? Avez-vous des reproches à lui faire ?
Cette ville me plaît beaucoup même si je ne peux pas nier que Cambridge me manque. Après tout, tous mes souvenirs sont là-bas même s'ils ne sont pas forcément bons. Ma mère y vit toujours mais étrangement, ce n'est pas elle qui me manque. Soit, j'aime cette ville même si je ne suis pas certaine d'y rester pour toujours. Enfin, tout dépend si je finis par avoir une raison de rester...

→ Et enfin, pour terminer, vous avez déjà du entendre parler de l'hôpital de votre ville comme l'un des plus prestigieux du pays... qu'en pensez-vous ? Vous sentez-vous rassuré ?
Comment ne pas en entendre parler ? De plus, étant dans le monde de la médecine, je crois que j'en entends encore plus parler puisqu'on est obligés de collaborer un minimum. Moi, je me sens en sécurité car l'hôpital est doté de beaucoup de médecins compétents. Je ne doute absolument pas de leurs capacités, loin de là. Ils ont prouvé leur valeur à maintes reprises.